Elles sont déjà 27 dans la minuscule et insalubre cellule du Pavillon D de la Manouba, la plus grande prison pour femmes de Tunisie, lorsqu’arrive la narratrice, jeune française de 26 ans (nous sommes en 2013), arrêtée pour avoir manifesté avec d’autres Femen. Dépouillée de tout, son seul et miraculeux bagage est un livre de Victor Hugo, Les Contemplations, dont les marges lui serviront de carnet de bord.
Fortement autobiographique, le récit de Pauline Hillier témoigne de façon très réaliste mais avec beaucoup d’humilité des conditions violentes, indignes et sordides de la vie carcérale : les maigres repas servis à même le seau, les cafards et les rats, l’absence d’activité physique – « Il faut se lever tôt pour ne rien faire de la journée » -, les humiliations multiples (les outrageantes fouilles à nu, les brimades gratuites des surveillantes), la promiscuité, l’hygiène désastreuse… Une misère extrême, un quotidien avilissant mais une bonne dose d’organisation pour survivre si l’on ne veut pas sombrer.
Pour se rapprocher de ses compagnes, la narratrice propose de lire dans les lignes de la main, réussissant à créer un contact. Les femmes transmettent à celle qu’on appelle désormais la Voyante des tranches de vie bouleversantes. Hafida, Fuite, La Cabrane, Boutheina et tant d’autres, toutes coupables d’être nées femmes dans un monde d’hommes, souvent injustement et excessivement condamnées, lui offrent une solidarité et une sororité inattendues. « D’une bande de tueuses, de voleuses et de petites délinquantes, j’ai reçu la plus magistrale des leçons d’humanité. »
Ce livre poignant, parfois teinté d’humour, à l’écriture serrée comme s’il y avait urgence à l’écrire, est d’une grande douceur et d’une profonde sincérité. Il rend un hommage ardent à ces Contemplées, si vivantes, si chaleureuses, si lumineuses. Il bouscule notre égoïsme confortable, même longtemps après l’avoir refermé.