L’amour

Jeanne en pince beaucoup pour Pietro mais c’est avec Jacques que la chose se fait. Jeanne et Jacques, deux prénoms quelconques, typiques des années 1970, deux personnages ordinaires de la classe moyenne provinciale de l’Ouest de la France. Lui est jardinier municipal et deviendra paysagiste à son compte, elle est employée de nuit dans un hôtel et trouvera un emploi de secrétaire de direction.

Ils se rencontrent un peu par hasard. Entre eux, pas de coup de foudre, pas d’amour fou, pas de passion dévorante.ils se marient, ont un enfant et vivent tranquillement 50 années de leur vie, et même au-delà, ensemble. « Ils s’accompagnent.. Avec eux : un chien, une pendulette en cuivre, des chansons de Richard Cocciante – « le rital moche » selon Jacques -, puis l’arrivée du portable, d’Internet, de l’hypermétropie et de la sciatique. Toute une vie en 90 pages. « Comme elle dit souvent, on se fait à tout« , « on s’habitue« , « ils se disent qu’ils font aller. » Pas de je t’aime entre les deux. L’amour est dans les gestes quotidiens, dans les paroles banales, dans les choses ordinaires. Il est dans les rôles bien définis, dans une routine bonhomme : « À la caisse, Jacques se poste en bout de tapis pour réceptionner les packs d’eau minérale cependant que Jeanne glisse les produits moins lourds dans un cabas. » Il est aussi dans les énervements réciproques, les fâcheries (« plutôt des débats » selon Jeanne), dans les trahisons et dans les pardons aussi. Ou même dans ce magnifique passage d’un texte de Saint Paul.

La langue de François Begaudeau est familière et soutenue à la fois : « ce vent maboul qui toute la soirée a gémi sous la porte. » Elle raconte la poésie du quotidien, souvent teintée d’humour : « Sur leur passage les têtes des laitières du père Meunier pivotent à l’unisson. » Le texte est court mais intense. C’est un concentré de tendresse, de mélancolie, de pudeur et d’émotion. Rien de spectaculaire. Juste le temps qui s’écoule sans bruit, sans heurt.

Des couples qui résistent aussi longtemps sont une espèce en voie de disparition. Comment ne pas penser aux paroles de cette chanson de Linda Lemay : « Comment t’as fait maman / pour trouver le bon gars / tu l’as connu comment / tu l’as aimé pourquoi / est-ce qu’y en avait juste un / dans tout le présent siècle / et y s’trouve que c’est toi qui dors avec. » Ou comme le chante Johnny : « Si tu n’es pas vraiment l’amour tu lui ressembles. »

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